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La transition énergétique: stop ou encore?

Et si demain, la Belgique se réveillait avec des capacités de production en énergies renouvelables décuplées...

Les problèmes énergétiques seraient-ils alors derrière nous?  Pas si sûr...

Cet article part d'une petite expérience de pensée pour démontrer que les politiques  actuelles mènent à une impasse, en gaspillant au passage beaucoup d'argent et de ressources...


100% d'énergies renouvelables (EnR) en 2050... Combien de fois avons-nous déjà entendu ce discours? Partis, gouvernements, associations écologiques, ONG's... tous nous promettent que, même si cela n'est pas facile, nous allons y arriver!  Et malgré de sérieux raccourcis et beaucoup d'approximations scientifiques que je discute ici, ils ont réussi à convaincre une grande majorité de la population qu'il suffira d'installer suffisamment de panneaux solaires et d'éoliennes pour remettre le climat sur les rails.

Le défi est de taille et pour la plupart des ingénieurs et des scientifiques de l'énergie, il sera extrêmement difficile a réaliser. Mais dans cet article, j'ai décidé de croire aux promesses et donc de faire l'hypothèse qu'il est effectivement possible de collecter toute l'énergie solaire et éolienne dont nous avons besoin. 

 

Pour cela, je vais faire ce que l'on appelle en science une "expérience de pensée"...

 

Pour une fois, nous les belges, nous avons de la chance... Par un coup de baguette magique, l'ensemble de la filière renouvelable allemande vient d'être connectée au réseau électrique belge. Tous les panneaux solaires allemands et toutes leurs éoliennes (off-shore et on-shore) sont à présent à nous... Nous disposons maintenant de 100 gigawatts de capacités supplémentaires, soit 16 fois l'équivalent de notre puissance nucléaire et également 16 fois notre capacité actuelle en EnR. Ces 100 GW, c'est bien plus que que les capacités jugées nécessaires par différents plans 100% EnR à l'horizon 2050 [par exemple, les scénarios du plan Terre, Mer, Soleil d'Ecolo paru en mars 2018 oscillent entre 60 et 70 GW].   

 

Alors maintenant, tout va bien, nous n'avons plus rien à craindre, n'est ce pas?  Eh bien, ce n'est pas si sûr...
Vous avez des doutes? Démonstration... 

 

Premier malentendu: pour les énergies "fatales" (on dit aussi non-pilotables) que sont le solaire PV et l'éolien, la capacité installée n'est pas équivalente à la production réelle: cette dernière varie avec la vitesse du vent, l'ensoleillement et les saisons. Regardons ce que notre nouveau parc EnR de 100 GW a effectivement produit en novembre 2017 (sombre et venteux) et en mai 2018 (calme et ensoleillé) (source: Fraunhofer).



On retrouve bien une dominante vent (en vert sur les graphiques) en novembre et une dominante soleil (en jaune) en mai, mais la variabilité est considérable avec des pics de quelques jours en automne et des pics journaliers au printemps. Par ailleurs, nos 100 GW ne produisent jamais plus de 50 GW et plus généralement la production cumulée (éolien + solaire) se situe entre 5 et 30 GW, ce qui en moyenne devrait largement suffire pour la consommation de notre petite Belgique...

 

Je viens d'écrire une énormité pour mettre en évidence un deuxième malentendu... Ce n'est pas en moyenne que la production doit être égale à la consommation, c'est tout le temps! A chaque seconde!  Voyons ce que cela donne avec une seconde série de graphiques où la ligne bleue indique la consommation instantanée de la Belgique aux mêmes périodes (source: Elia)   



La courbe bleue a une périodicité journalière (on consomme moins la nuit) et hebdomadaire (on consomme moins le week-end). En novembre, on observe que la consommation maximale se produit toujours en soirée, ce qui est la cause des inquiétudes actuelles par rapport au risques de délestage en novembre 2018 suite à l'arrêt de presque toutes nos centrales nucléaires. Mais là n'est pas notre propos ici... quoique!  Dans notre petite expérience, ce n'est pas de délestage que l'on parle, mais bien de black-out... Toutes les périodes marquées par un trait rouge indiquent que la consommation dépasse la production. Black-out à répétition donc, et pas seulement en novembre (12 périodes représentant 37% du temps) mais aussi en mai (16 périodes et 13% du temps). 

 

Imaginez la Belgique toute entière privée d'électricité pendant plus de 3 jours en novembre... Et sans électricité, cela veut aussi dire sans chauffage, sans téléphone, sans internet, sans feux de signalisation, sans pompes à essence,  sans ascenseurs, sans eau... la société complètement à l'arrêt.

 

Alors comment s'en sortir? Il y a trois options:

  1. disposer de capacités pilotables (gaz ou nucléaire) pouvant être activées en cas de besoin;
  2. stocker les excédents d'EnR;
  3. procéder à des importations massives. 

La première solution est somme toute assez facile à mettre en oeuvre. Quelle capacité pilotable devons-nous maintenir?  Il suffit de regarder à nouveau nos graphiques pour constater qu'à certains moments nos EnR ne produisent pratiquement rien! Nous devons dont être capables de produire à tout moment l'entièreté (ou presque) de notre consommation sans avoir recours à nos 100 GW d'EnR... Tout ça pour ça! Plus de 300 milliards d'Euros pour une solution qui nous contraint à maintenir l'entièreté de notre parc classique, vous ne trouvez pas que c'est cher? D'autant que le parc classique ne sera absolument pas rentable et qu'il fonctionnera dans les pires conditions puisque les on-off à répétition dégradent fortement la fiabilité des installations...

 

Le stockage alors? La centrale hydroélectrique de Coo est la seule capacité de stockage dont nous disposons actuellement. Elle représente 5 GWh, indiqués par un rectangle vert sur la figure suivante. 5 GWh, ce n'est pas peu! Cela représente les batteries réunies de 125000 Nissan Leaf (40 kWh pour chacune). Cependant, pour combler le super black-out de novembre mentionné plus haut, il en faudrait environ 100 fois plus !  Et stocker 500 GWh (12.5 millions de Leaf), c'est tout à fait gigantesque! 

Si les batteries ne font pas le job, il reste l'hydrogène qui serait produit par électrolyse à partir de l'électricité excédentaire, c'est à dire les pics situés au dessus des courbes bleues dans la seconde figure ci-dessus. Mais là encore, la technique a ses limites: les pics dus au solaire représentent jusqu'à 40 GW que les électrolyseurs devraient pouvoir absorber. C'est à nouveau démesuré, quand on sait que la plus grosse installation actuelle fait 10 MW et qu'elle a coûté 20 millions d'euros.    



Reste donc les importations. Sauf que... Si nos voisins ont la même politique énergétique que nous, au moment où nous manquons d'EnR, ils en manquent aussi... Parce que les conditions météorologiques sont globalement identiques pour toute l'Europe du Nord. Seule la péninsule ibérique fait exception mais elle ne représente que 10% du marché.

 

Nous en sommes donc réduits à la première solution: maintenir une capacité de production en énergies conventionnelles permettant de couvrir l'ensemble de nos besoins... Mais si nos besoins sont couverts, pourquoi continuer à ajouter des capacités en énergies renouvelables ?